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Les débats du Conseil municipal pendant la Guerre d'Algérie – 1946-1964

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On compte 41 interventions du Conseil municipal de Saint-Denis sur l’Algérie et les Algériens entre 1946 et 1964. Nous publions ici l’intégralité de ces prises de position, classées par ordre chronologique. Les débats qui les ont accompagnées sont consultables aux Archives municipales.

Le contexte de l’après-guerre à Saint-Denis

Dès la Libération, Auguste Gillot devient maire. Il le restera jusqu’en 1971. Militant communiste, il a lutté dans les années 1930 contre Jacques Doriot. Résistant, il a représenté le PCF au Conseil national de la Résistance. C’est un homme politique proche du monde ouvrier. L’action publique locale est au centre de sa vie. 
Saint-Denis est alors une très grande ville ouvrière. La solidarité ouvrière existe et le mouvement ouvrier est vivant et puissant. 

La situation en Algérie

En Algérie, la guerre a suscité beaucoup d’espoirs dans un renversement enfin possible de l’ordre colonial. Les nationalistes algériens s’organisent pour faire avancer leurs idées. Messali Hadj milite pour l’indépendance à la tête du Parti du Peuple Algérien. Il est enlevé et déporté à Brazzaville le 25 avril 1945. 

Le 8 mai 1945, le nord constantinois, délimité par les villes de Bougie, Sétif, Bône et Souk-Ahras, quadrillé par l’armée, célèbre la victoire des alliés à l’appel des Amis du Manifeste et de la liberté (AML) et du Parti du Peuple Algérien (PPA). Les manifestants en profitent pour rappeler à la France leurs revendications nationalistes d’autonomie ou d’indépendance. A Sétif, la violence commence lorsque les policiers veulent se saisir du drapeau du Parti du Peuple Algérien et des banderoles réclamant l’indépendance et la libération de Messali Hadj.
La répression est féroce. L’armée massacre des milliers d’Algériens à Sétif et à Guelma. Le traumatisme est insurmontable. La guerre algérienne d’indépendance commence.

Dans le même temps, les Algériens quittent massivement l’Algérie pour venir travailler en France. Ils se dirigent vers les villes industrielles. C’est une migration économique. On les appelle alors les Français musulmans d’Algérie (terme administratif) ou encore les Nord-Africains. 
Saint-Denis voit ces hommes célibataires arriver par milliers pour travailler dans les usines locales.

La chronologie des interventions du Conseil sur la question algérienne

4 octobre 1946 : la question algérienne est débattue pour la première fois au Conseil municipal. Les élus prennent une position ferme mais mesurée sur la situation en Algérie. 
Ils « adressent un chaleureux salut fraternel aux milliers de travailleurs nord-africains arrivant à Saint-Denis » et réclament pour eux des conditions de logement adaptées. 

1947 : les élus demandent, à cinq reprises, que la caserne soit transformée en centre de logement de travailleurs nord-africains. La caserne est un vaste bâtiment militaire qui date du 18e siècle et qui est alors occupé par « un centre de soi-disant rééducation de prisonniers de guerre allemands » et par « un centre de transit ». Le chef d’Etat-Major de l’Armée de Terre refuse. Les ouvriers algériens sont représentés, dans les différentes démarches auprès du ministère de la Guerre, par M. Abdelmalek et par les organisations syndicales.
Les industriels locaux s’associent aux différentes initiatives. Ils sont représentés par l’administrateur provisoire de l’usine chimique Francolor.

14 avril 1949 : le Conseil municipal demande « la libération des victimes de la répression colonialiste » et émet un vœu politique pour soutenir les Nord-Africains de Saint-Denis « dont la situation est vraiment digne d’intérêt ». Les ouvriers algériens se sont réunis au théâtre municipal le 20 mars 1949. Le Conseil municipal soutient toutes leurs revendications. 

1951 et 1952 : la ville organise des cours du soir pour les ouvriers algériens.

30 octobre 1952 : le Conseil municipal fait sienne la résolution des travailleurs nord-africains de Saint-Denis sur la situation politique en Algérie et « exige l’arrêt immédiat de la répression colonialiste tant en France qu’en Algérie ». Le Conseil rappelle que les travailleurs nord-africains de Saint-Denis sont 6000.

22 décembre 1954 : le Conseil municipal, saisi par les syndicats, réclame que les travailleurs algériens bénéficient des mêmes prestations sociales que les travailleurs français, notamment pour les allocations familiales. Il faut savoir que le déclenchement de l’insurrection par le Front de Libération nationale (FLN) a eu lieu deux mois plutôt : le 1er novembre 1954. 

21 novembre 1955 : le Conseil municipal demande « la libération des rappelés sous les drapeaux à la suite des évènements en Afrique du Nord ». Il proteste contre l’emploi sur place du contingent et « demande que le gouvernement prenne des mesures de Paix et engage de véritables négociations avec les représentants qualifiés des peuples d’Algérie et du Maroc ».

30 mars 1956 : trois jeunes soldats de Saint-Denis ont déjà été tués. Le Conseil demande « un cessez-le-feu immédiat en Algérie en vue de l’organisation d’élections libres et pour permettre de dégager des interlocuteurs valables donnant toutes garanties de représentativité de la population algérienne, tant musulmane que d’origine européenne ».

Avril à novembre 1956 : le Conseil apporte son soutien aux résolutions, pétitions et vœux de la population ainsi qu’aux organisations locales pour la Paix. 18 134 signatures ont été recueillies dans les usines de Saint-Denis et auprès de la population : « … seule la négociation permettra de définir les bases d’un règlement pacifique et de déterminer, dans un intérêt commun, les rapports nouveaux librement consentis entre la France et l’Algérie ».
Le 12 mars 1956, le gouvernement Mollet a fait voter la loi sur les « pouvoirs spéciaux » de l'armée. Le Parti communiste a voté la loi.

11 octobre 1957 : le Conseil s’associe à l’appel des familles de Saint-Denis dont un fils est tombé « dans la guerre d’Algérie ». Il rappelle que plus de 500 000 jeunes français ont été envoyés en Algérie. Le Conseil appelle la population de Saint-Denis à marquer son opposition à cette guerre en participant à la journée d’action du 17 octobre 1957. (Le PCF a décidé de faire du 17 octobre 1957 une grande journée de lutte contre la guerre d’Algérie et contre la misère qu’elle engendre).

29 novembre 1957 : le Conseil demande des précisions sur le sort de Maurice Audin, assistant à la faculté d’Alger, qui « a disparu ». Maurice Audin est mort après avoir été arrêté et torturé. Il avait 25 ans et était membre du Parti communiste algérien et militant anticolonialiste.

1960 : le Conseil « exige la suppression de tout obstacle à l’application loyale du droit à l’autodétermination et à la Paix. » Le Conseil rend compte de l’action des délégations d’usines et de quartiers qui déposent à l’Hôtel de ville des vœux, résolutions et pétitions déclarant : « Nous voulons la paix immédiate en Algérie ».

24 avril 1961 : « Une bataille historique s’engage en France contre le fascisme ». 25 comités de lutte antifasciste sont créés dans les quartiers de Saint-Denis et les cités HLM.

30 juin 1961 : le Conseil demande « l’amnistie pour les jeunes soldats qui ont exprimé leur opposition à la guerre d’Algérie ».

15 septembre 1961 : le Conseil proteste contre la présence de formations de harkis à Saint-Denis qui troublent l’ordre public et brutalisent la population. Le Conseil appuie sa protestation sur des faits précis et sur de nombreux témoignages d’habitants.

3 novembre 1961 : le Conseil témoigne du fait que « le 17 octobre dernier, les Algériens de la Région parisienne qui manifestaient pacifiquement pour demander la levée des mesures discriminatoires prises à leur égard par la Préfecture de Police, ont été l’objet d’une répression très violente, 15 000 d’entre eux ont été arrêtés et la presse a signalé plusieurs morts. Pour Saint-Denis, plus de 300 Algériens furent arrêtés, certains ne sont pas encore revenus, et nous ne savons pas où ils sont ». Le Conseil réaffirme sa volonté de « poursuivre son action pour la reprise des négociations avec le GPRA sur le principe loyal de l’autodétermination ». Le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) a été créé le 18 septembre 1958. Le GPRA est le bras politique du Front de Libération nationale (FLN).

24 novembre 1961, janvier et février 1962 : le Conseil multiplie les résolutions contre l’OAS. Il appelle la population à assurer la protection des édifices publics contre les attentats.

23 février 1962 : le Conseil souhaite l’attribution de la carte du combattant aux anciens d’Algérie.

23 mars 1962 : 31 jeunes soldats de Saint-Denis ont été tués en Algérie. Le Conseil « souligne l’impérieuse nécessité de l’application des accords signés à Evian, afin d’aboutir à la Paix définitive en Algérie ».

Que nous disent ces textes ?

> Il n’y a pas de bidonville algérien à Saint-Denis ni de lieu d’habitation réservé. Les Algériens vivent dans la ville au contact de la population ouvrière même s’ils sont plus nombreux dans certains quartiers, notamment dans le vieux centre ville et ses nombreux hôtels meublés. Entre 1946 et 1952, 6000 Algériens se sont installés à Saint-Denis.

> Les Algériens de Saint-Denis s’organisent très vite (délégation représentative en 1946, meeting au théâtre en 1949). La municipalité est proche d’eux. Il y a peut-être déjà parmi eux des militants indépendantistes. On peut penser que beaucoup sont syndiqués à la CGT (comme à l’usine Renault de Billancourt, par exemple). Il faut aussi se souvenir que les Algériens qui résident en métropole ont un droit de vote équivalent à celui des autres Français.

> Le Conseil municipal est une tribune politique. Mais il défend un point de vue qui ne reprend pas, mot pour mot, la ligne et les mots d’ordre du PCF.

> Entre 1954 et 1962, la situation de guerre aurait pu introduire dans la société locale des tensions difficiles à gérer : d’un côté les familles des appelés et de l’autre des milliers d’ouvriers algériens soupçonnés d’activisme violent. Les prises de position des élus laissent penser que cela n’a pas eu lieu.

> En 1958 et 1959, les vœux politiques relatifs à la question algérienne disparaissent. L’action politique se passe sans doute ailleurs.

> Le Conseil municipal réagit vite et très fortement à la violence policière lors de la manifestation du 17 octobre 1961. Les conséquences de la manifestation apparaissent comme un traumatisme local. Le personnel municipal monte en première ligne pour dénoncer les morts et les disparitions. Le Conseil intervient très peu de temps après l’évènement et de manière précise et détaillée.

> 31 soldats dionysiens sont morts à la guerre pendant le conflit.

Les prises de position du Conseil municipal ne sont pas la seule source locale sur la vie sociale et politique à Saint-Denis pendant la Guerre d’Algérie. Mais elles ouvrent la réflexion et dégagent des pistes de recherche. Elles demanderaient à être comparées avec celles d’autres villes.


Ce focus est publié dans le cadre de l’anniversaire de l’Indépendance de l’Algérie. Voir aussi :

Focus publié le 26/06/2012.