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La Ruche, petite cité de logements à bon marché du 19e siècle – 1892-1912

Il existe aujourd’hui, au cœur du quartier de la Plaine Saint-Denis, un petit « hameau » de logement social dont la construction remonte à la fin du 19e siècle. C’est La Ruche, construite de 1892 à 1896, tout près de la voie ferrée, au milieu des usines. Cette cité calme de petits immeubles collectifs et de pavillons avec jardin individuel clos possède un grand intérêt historique. Elle a fait figure à l’époque de sa construction de modèle à suivre en matière de logement social ouvrier.

La Ruche n’a pas été construite pour rapporter de l’argent dans une dynamique spéculative, comme c’était le cas pour tous les immeubles neufs de l’époque qu’on appelait d’ailleurs « immeubles de rapport ». La Ruche, elle, a été pensée comme un projet social philanthropique : une « œuvre » d’habitations de qualité à bon marché. Nous sommes, avec ce petit ensemble immobilier, au tout début de l’histoire du logement social. La Ruche a été construite par la Société anonyme des Habitations économiques de Saint-Denis. Son architecte est Georges Guyon.

Nous présentons ici les rapports annuels de fonctionnement de cette société (cliquer sur l’image à droite pour les lire). Les premiers concernent plus particulièrement La Ruche et ses débuts.

Cliquer sur l'image pour consulter le document

Voici quelques explications et quelques points de repère pour aider à la lecture :

> La composition du Conseil d’administration nous renseigne sur les dirigeants de la Société. Il s’agit principalement de patrons d’usines de La Plaine Saint-Denis (usines Sachs, Saint-Gobain, Maison Brigonnet et Naville, Tancrède, pianos Pleyel, ateliers de mosaïques Guilbert-Martin, tannerie Floquet de la rue du Landy, etc.). Ce sont des industriels philanthropes très implantés localement. Ils sont républicains modérés, libéraux, et bénéficient de nombreux soutiens dans le milieu local des notables : le Crédit Lyonnais gère pour eux gratuitement les titres de la Société, le notaire de Saint-Denis abandonne ses honoraires pour les actes qui sont passés devant lui, l’avocat ne se fait pas payer pour ses conseils juridiques, la Maison Brigonnet et Naville (une usine chimique) gère la perception des loyers.

> Construire La Ruche n’a pas été facile. Faute de suffisamment d’actionnaires au départ, le projet initial a dû être modifié pour être revu à la baisse et la construction s’est échelonnée sur plusieurs années. La construction de la première partie de La Ruche s’est terminée en octobre 1893. Celle de l’immeuble collectif du centre de la parcelle en avril 1894. Et c’est seulement en 1896 que les bâtiments F et G ont pu être construits sur les terrains encore disponibles du fond de la parcelle. En 1905, La Ruche a fait l’objet « d’une réfection complète ». Toute la toiture, les menuiseries, la peinture extérieure et celles des escaliers ont été refaites à neuf.

> En février 1894, 156 personnes habitaient La Ruche. 197 au début de l’année 1896. Il y en aura 243 en 1900. Les locataires semblent très mobiles et déménagent souvent : 16 logements sont vacants en 1897, 18 en 1898. Les logements vacants sont les appartements des immeubles collectifs. La population des pavillons est plus stable. Les gestionnaires notent : « La stabilité est toujours supérieure dans les loyers élevés ».

> En 1895, les plans de La Ruche ont été exposés à l’Exposition internationale d’hygiène et le Président de la République est venu visiter le stand. En 1897, La Ruche a obtenu une médaille d’or à l’Exposition internationale de Bruxelles.

> En 1898, la Société des Habitations économiques de Saint-Denis met en location un nouvel ensemble d’immeubles d’habitations à bon marché qu’elle a fait construire au centre de Saint-Denis. Il s’agit du Foyer. Désormais, La Ruche n’est plus la seule réalisation de la Société. L’année suivante, en 1899, un don anonyme de 130 000 francs permet la construction du groupe L’Amitié, rue Janot. Et en 1901, L’Union, un quatrième groupe de logements à bon marché est mis en chantier, toujours à Saint-Denis. La Société est prospère. Elle se félicite d’avoir su mettre en pratique ses principes philanthropiques théoriques. Elle pense alors, en 1902, à changer d’échelle et à agir au niveau de la région parisienne tout entière. Le 14 mars 1904, la Société modifie ses statuts et devient Société des Habitations économiques de la Seine. L’ancrage local s’estompe. La Société déclare vouloir laisser la place, à Saint-Denis, à la Société coopérative de construction Le Coin du feu, qu’elle ne veut pas concurrencer.

La lecture des rapports d’activité de la Société des Habitations économiques de Saint-Denis pose une vraie question. Pourquoi le patronat local s’est-il impliqué à ce point dans la construction de La Ruche et de tous les immeubles qui ont suivi ? Il y a là une partie de l’histoire complexe des idées qui se sont développées au 19e siècle face à l’émergence et à l’affirmation politique de la classe ouvrière. Ces industriels étaient sûrs qu’un logement confortable et salubre protégerait l’ouvrier des « mauvaises rencontres » du café, lieu de réunion, et qu’en le rendant légitimement heureux de rentrer chez lui après le travail, ils le détourneraient de toute tentation révolutionnaire. Leur objectif était de cloisonner la vie privée ouvrière pour éviter tout partage dans la rencontre sociale et la discussion politique avec d’autres. Cela n’enlève rien ni à leur opiniâtreté, ni à leur sincérité, ni à la qualité architecturale et sociale de leurs réalisations.

Focus publié le 1er mars 2013.